Elle avançait, ses doigts délicats effleurant la pierre gelée de ce long et étroit corridor sans fin. La morsure du froid ne l'atteignait pas, dans son esprit terrifié et morcelé les sensations réelles, palpables, passaient en arrière-plan. Dans sa robe déchirée de Cendrillon, dotée d'une peau d'ivoire et de lèvres rougies dignes d'une poupée de porcelaine, elle semblait bien être le dernier joyau d'innocence de cette machine infernale : Rosewood. Vêtue de cet uniforme blanc, elle détonait avec les ténèbres qui l'entouraient. La folie, l'insanité suintaient des murs et semblaient vouloir l'atteindre de leurs griffes acérées, lui souffler des propositions vicieuses. Déments étaient-ils, tous ces pauvres êtres zombifiés qui poussaient des hurlements tels des loups, des prédateurs, s'accrochant sauvagement aux barreaux de leur cage d'acier pour s'acharner dessus. Elle sentait le sol se dérober sous ses pieds, son esprit partir, s'enfuir de cette horreur humaine vers un monde merveilleux pour s'en préserver. Les battements de son coeur s'accéléraient à en faire des ratés, son souffle se faisait court. Sous leurs regards inquisiteurs, elle se sentait vulnérable, seule, alors qu'on lui avait arraché son dernier rempart : son frère aîné. Les yeux fermés elle se répétait sans cesse qu'elle n'avait rien à faire ici. Qu'ils n'étaient que les pauvres victimes de leur richesse, d'un vilain héritage et des vautours qui tournaient autour d'eux... Non, elle n'était pas démente! Mais son cerveau ne répondait plus à présent. Elle était cet animal traqué, qu'on avait piégé. Deux hommes maigres et trop grands pour qu'elle en voit les visages lui indiquèrent son nouveau lieu de résidence, sa tour de Raiponce, sans une émotion, sans une parole, deux êtres désincarnés, vêtus de la même façon, deux jumeaux, deux mannequins inexpressifs. Elle s'y engouffrait, retenant les larmes qui montaient jusqu'à ses yeux de saphir. Elle était morte à l'intérieur. Et alors que le piège se refermait sur elle, la porte se fermant dans un grincement strident dans son dos, elle se mit à hurler, dans une longue plainte, rejoignant le choeur des fous.
Si, elle avait peut-être sa place ici, tous comptes faits.



année 1950, asile de Rosewood, Etats-Unis
Voilà trente ans qu'ici, à Rosewood, se mêlent étrangeté et féerie. Trente longues années que ces deux enfants se sont vus enfermés suite à la décision d'un juge corrompu. Loin d'être fous, c'est entre ces murs qu'ils ont prié, pleuré à chaudes larmes, espérant une aide divine, une main tendue. Ce sont eux qui, par leurs longues supplications, ont fini par attiser la curiosité du Malin. Sous la forme d'un ange ce dernier leur est-il apparu, promettant liberté et contrées merveilleuses à ces esprits naïfs et emplis de joie.
Ainsi un passage entre l'horreur et l'imaginaire a été ouvert. Une passerelle entre deux mondes différents, deux mondes aux apparences trompeuses, à l'effet toxique. Et c'est selon un rituel mêlant la pomme de Blanche-Neige que le charme a lieu emportant l'asile tout entier sur les sentiers magiques de Wonderland, pays aux mille et un mystères, aussi démoniaque que son créateur, vrai terrain de jeu, ou échiquier géant où il teste les peurs de ses pions. Monde déraisonné, coloré, changeant, c'est à Wonderland que les névroses des patients réagissent, s’amplifient, prennent le dessus. Et de nymphomane, une belle rousse se transforme alors en sirène écumant les eaux turquoises d'un lagon secret.
L'asile est votre réalité, Wonderland est votre échappatoire.