1918, St-Louis, Illinois.
« Non... c'est pas possible... » La brune tomba au sol en lisant la lettre reçue, son mari était mort au front, loin de chez eux, sur le sol européen durant la seconde bataille de la Marne... cela faisait déjà six mois qu'il était parti pour servir son pays. Leur fils, Dimitri était âgé de deux ans, son père ne rentrerait pas pour fêter son troisième anniversaire. Enfin, la plus bouleversée dans cette histoire ce n'était pas le bambin qui n'avait pas connu cet homme, c'était Annie Lincoln... Elle allait devoir élever seule son fils et pour une femme au foyer, ça allait être difficile. Elle participait déjà à l'effort de guerre et heureusement, elle réussit à garder un travail en usine après la guerre, elles étaient rares celles qui travaillaient encore, mais lorsqu'on avait perdu son mari et qu'on avait des enfants à charge, il fallait bien gagner sa vie. Elle fut quand même aidée par la famille de son mari dont le père avait, lui aussi, été soldat... Dimitri put donc aller à l'école, même s'il n'y resta pas longtemps (jusqu'à ses quatorze ans), mais assez pour avoir les bases de l'éducation, savoir lire et écrire, compter et même avoir des notions en géographie.

1929, Wilmington, Illinois.
« Aller Dimitri, ne traîne pas. » Annie et son fils avait quitté St-Louis suite au Krach boursier de New York, les choses s'étaient déroulées très vite, le chômage avait augmenté de façon spectaculaire et Annie avait perdu son travail. Impossible d'en retrouver dans les usines en ville... ils allèrent donc chez ses parents pour travailler à la campagne. Dimitri était âgé de quatorze ans à l'époque, forcement, pour lui l'école c'était fini et il dut travailler... Son grand-père lui appris le travail de jardinier. Le jeune homme n'avait pas d'avis à savoir si ça lui plaisait ou non : il n'avait pas le choix. Avoir un travailler c'était déjà une chance, il ne pouvait pas se payer de luxe de vouloir faire autre chose de sa vie. De toute façon, il n'avait jamais réfléchi à ce qu'il aurait aimé faire comme travail. Tandis que les États-Unis devenait protectionnistes, les classes ouvrières étaient de plus en plus pauvres... résultat en Europe, les totalitarismes gagnaient des voix... Ce qui déclencha la seconde guerre mondiale en 1939.

1940, USA.
Dimitri était âgé de vingt-cinq ans et pour la première fois, le service militaire est instauré en temps de paix... Dimitri n'y échappa pas... Étant jeune et en bonne santé, il fut formé au même titre que les jeunes hommes de son âge. Un jardinier au service militaire. Le moins que l'on puisse dire c'était qu'être formé à la guerre ce n'était pas du tout la même chose que de s'occuper de plantes ou de couper du bois. Même si Dimitri était habitué à l'effort, le régime du service militaire n'avait rien d'une partie de plaisir ! Ceci dit, d'avoir été élevé par une femme de militaire, il avait un minimum de patriotisme, assez pour encaisser et se dire que c'était pour le bien du pays. Inconsciemment, c'était aussi pour lui une façon de devenir meilleur et de pouvoir protéger ses proches... Seulement, il n'avait pas prévu toute cette histoire avec les Japonais, Pearl Harbour, l'entrée rapide en guerre des US...

1942-45, Europe.
Le huit décembre, les États-Unis déclaraient la guerre au Japon, le douze décembre, l'Allemagne et l'Italie déclaraient la guerre aux US. Du coup, ayant fait son service militaire et étant jeune, Dimitri fut envoyé combattre en Europe comme son père l'avait fait lors de la première guerre mondiale. Est-ce qu'il allait finir comme ce dernier ? Honnêtement, il ne donnait pas franchement cher de sa peau. La peur au ventre, comme tous les autres combattants, il fallait pourtant se battre pour survivre et pour les États-Unis. Il y a des choses qui marquent la vie d'un homme pour toujours, la guerre en fait partie. Voir ses camarades tomber à côté de soit et se demander pourquoi on est encore debout. Être presque soulagé que ce soit les autres qui se prennent des obus dans la gueule et pas soi-même. La peur que chaque jour soit le dernier, de ne jamais rentrer au pays. Et la guerre s'est fini, il y a eu la découvert des camps de concentrations... Des images que l'on n'efface pas d'un simple coup de gomme. Bref, l'horreur qui continue de vous hanter même une fois rentré. Bien-sur, Dimitri a eu la chance de faire partie des soldats qui sont rentrés entiers, il n'a eu que quelques cicatrices, la plus visible se trouvant au niveau du flan droit, une balle l'a frôlé et arraché la chaire à cet endroit là, mais rien de mortel.

1945, Wilmington, Illinois.
En rentrant au pays, il retrouva sa mère et sa famille, une chance qu'ils étaient nombreux à ne pas avoir eu. Il se réveillait souvent en pleine nuit, en trempé et haletant à cause des images qui lui revenaient durant son sommeil. Refaire sa vie ? Trouver une femme pour s'occuper de lui ? Que de conseils inutiles que lui donnaient ses proches et qu'il faisait semblant de prendre en compte. Comment aurait-il pu alors que déjà, au sortir d'une guerre, les relations Russes et Américaines étaient tendues ? En 1947, on considéra que les US étaient entrés en guerre froide avec l'URSS... Les États-Unis soutenaient la France durant la guerre d'Indochine en 1946... Bref, la guerre ne semblait pas vouloir être endiguer une bonne fois pour toute.

fin 1949, Rosewood, Illinois.
Rester à Wilmington c'était juste impossible à cause de ses proches qui n'aidaient pas vraiment à ce qu'il oublie la guerre... Il prétexta vouloir changer de vie comme ils le lui avaient conseillé pour s'éloigner. D'ailleurs, on lui avait même conseillé d'aller voir à Rosewood, qu'il y avait surement des postes à pouvoir pour s'occuper d'un jardin résidentiel... Ce qu'on ne lui avait pas dit c'était que c'était le jardin d'un asile. Peut-être une façon détournée de lui proposer de se faire soigner... Oui mais non. Okay pour faire le jardinage, pas question de se faire enfermer. De toute façon, il n'était pas malade, il faisait juste des cauchemars, comme tous les soldats revenus de cette putain de guerre, non ? En tout cas, selon lui, ces cauchemars ne justifiait pas de se faire interner, il devait vivre avec, c'est tout.

Enfin bref, parlons du présent. Cela fait quelques mois que Dimitri travaille comme jardinier à Rosewood, si l'on met de côté le fait que certain malades lui rappellent de mauvais souvenirs, il est plutôt bien : le jardin est apaisant, il y a des tartes trop bonnes tous les dimanches... bon, ce n'est pas non plus le paradis hein, mais après avoir connu la guerre, on ne se plaint plus trop... En revanches, il lui arrive de faire une nouvelle sorte de rêve, pas les cauchemars liés aux champs de batailles... mais c'est flou, parfois un peu dérangeant... mais dans un sens, il préfère un rêve flou dont il ne se souvient pas, qu'un rêve éprouvant dont il se réveille brutalement et en sueur : on ne souffre pas de ce que l'on ignore.